Mémé chez les morts

Mémé, c’est ma maman. J’ai eu une mémé dans le temps, mais le temps a effacé la plus grande partie des souvenirs qui y étaient associés, pas forcément très bons souvenirs, ceci explique sûrement cela.

N’empêche que quand ma sœur a eu besoin d’une grand-mère pour son enfant, c’est naturellement « mémé » qui lui est venu. Et ça tombait bien car de l’autre côté, celui du père, c’était « mamie » qu’il fallait dire. C’est ainsi que maman est devenue mémé, sans s’en offusquer qui plus est. Lorsque ce fut mon tour de m’équiper d’enfants, j’étais donc déjà prête à leur dégainer mémé, et là aussi ça tombait bien, car de l’autre côté c’était là encore « mamie » qu’il fallait dire.

Mémé donc, Monique, qui fut maman la flèche, non que sa capacité de raisonnement soit mise en cause – c’est sa rapidité de déplacement qui était ainsi raillée – maman la flèche est devenue mémé zombie. L’attribut pourrait s’expliquer par les yeux rougis de regarder l’écran de l’ordinateur pendant des heures mais en fait, sans être une morte vivante, mémé, c’est une vivante parmi les morts : elle a entamé sa généalogie dans les années quatre-vingt. Certes, il y a eu des interruptions, surtout au début, quand il fallait de déplacer ou envoyer un courrier, avec une enveloppe timbrée pour la réponse, pour demander un acte, sans même être sûre qu’il existe.

Mais depuis internet et la mise en ligne des archives départementales, ce sont des heures de visionnage possibles depuis chez soi. Et mémé a comme déménagé pour s’installer parmi ses morts. Alors mémé, elle vieillit et parfois elle cherche ses mots ou en dit certains pour d’autres. Par contre, elle peut t’expliquer les liens entre les cousines, neveux ou sœurs et frères des aïeux à je ne sais quel degré dans je ne sais quelle branche de sa généalogie. Mémé, elle te connaît l’équivalent d’une ville, d’une grande ville, qui serait peuplée de l’ensemble de notre famille, réunissant ainsi des gens sur pas loin de quatre siècles. Elle maîtrise des centaines voire des milliers de noms, sans compter les variantes, des métiers existants ou disparus, des dizaines voire des centaines de villages ou villes.

Alors mémé, à se promener parmi les morts, à vivre avec eux, à partager leur quotidien, on se demande si ça va pas la rendre éternelle. La mort n’oublie personne, écrivait Didier Daenincks, mais si ça se trouve, elle oubliera mémé planquée parmi les morts. Au moins jusque ses 126 ans normalement…

Un avis sur une mamie, en livre, Mamie Luger de Benoît Philippon :

Mamie Luger, elle dépote. Dès le début, avec son flingue à la main, à canarder les flics, elle est comme qui dirait mal engagée. Et tout compte fait, André Ventura, un des flics, l’inspecteur qui va mener son interrogatoire, est sûrement mal engagé lui aussi, avec Berthe, cette petite vieille en bout de vie.

Berthe va livre sa vie, par petits bouts, à Ventura, avec une gouaille inégalable.

Berthe accueille deux amants en fuite, sorte de couple à la Bonnie and Clyde. Elle tire sur son voisin, puis sur les policiers venus mettre fin au barouf. C’est sur une sorte de gaffe, acte manqué, qu’elle dirige les flics vers son « placard à cadavres ».

Quand Berthe « déterre » ses vieilles histoires, on est surpris d’abord. On y trouve rapidement de l’humour. L’humour qu’il faut pour accepter certaines épreuves de la vie, en continuant à vivre, justement.

Sous ses abords rustres, frustres, un peu vulgaires, femme indépendante à toute épreuve, genre tank, elle se révélera plus sensible qu’on ne le croyait de prime abord. Sensible quant à son lien avec sa mère, c’est que la filiation et par la même la maternité (la question de la maternité) ne la laisse pas indifférente, notre Berthe.

Femme du 20ème siècle, on voit Berthe évoluer dans un monde où la femme a besoin de l’homme pour mener sa vie comme elle l’entend, niveau finances, niveau travail. Mais Berthe a-t-elle su s’accommoder de ses conjoints ? Je vous laisse le découvrir.

Tout comme vous découvrirez ce qui la remue, la Berthe, lorsqu’elle met de côté son pragmatisme habituel.

Au fil du roman, on passe du simple divertissement, une sorte de parodie de roman noir, à un texte bien plus engagé, mais de manière très subtile.

Avec ce livre, vous étiez surpris au début par le ton, par le personnage, vous êtes surpris dans la deuxième partie par la tournure que prennent les choses, par les choix de Berthe.

Un livre distrayant ET intelligent. Une très belle découverte pour moi qui ai lu ce livre bien trop vite. Je l’avais choisi un peu au hasard sachant que le rayon livre du magasin que je fréquente est intelligemment achalandé et avec goût.

Benoît Philippon, je retiens ton nom !

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