Cabossés

Exclusion

Depuis le retour des vacances d’hiver, j’ai un nouvel élève en cinquième. Exclu d’un autre collège, on savait bien sûr que ce ne serait pas évident avec lui. Mais là, je dois dire quel énergumène !

C’est fou le nombre de gamins ingérables en collège, c’est sûrement vrai dès l’école primaire, ce ne sont pas tout à fait les mêmes qui dysfonctionnent d’ailleurs. Je veux dire par là que certains s’améliorent un peu, parce qu’en grandissant, ils apprennent à gérer certaines choses qui leur posaient problème. Mais d’autres au contraire « dégénèrent », adolescence oblige, ça bouscule pas mal de choses.

Aucun jugement de valeur dans mes propos, je suis toujours profondément gênée d’entendre dire d’un élève qu’il a « bon fond », laissant supposer que d’autres auraient « mauvais fond ». Parce qu’à moins de 15 ans j’espère que tout n’est pas joué encore.

Et puis c’est un fait que la plupart des élèves qui nous posent vraiment problèmes, ceux que je qualifie « d’ingérables », mais là déjà c’est un raccourci de langage, sont souvent des enfants tout cabossés par la vie. Ce n’est pas du misérabilisme et ce n’est pas prétendre que les problèmes de comportement ne touchent que les milieux sociaux défavorisés, non, c’est plus subtil. Je crois que l’humain est capable d’encaisser une certaine dose de problèmes, mais pas au-delà. Et je vous assure que parmi les mômes, certains cumulent, en peu de temps, une montagne de problèmes.

Et il faudrait savoir gérer tant de « profils » différents ! Certains ne sont pas aptes à suivre les cours, faisant face à un retard de développement, ou à un retard d’apprentissage. D’autres sont aptes à suivre les cours, mais ils vont se montrer presque mutiques, opposés à toute autorité mais aussi à toute forme d’échange avec l’adulte. Il y a aussi ceux qui sont tout à fait intelligents, tout à fait sociables, mais qui ont des réactions tout à fait surprenantes, doux euphémisme car en réalité tout à fait inadaptées et inquiétantes. C’est le cas qui me préoccupe actuellement… jusqu’au suivant qui sera différent. Et il y a aussi des élèves qui restent dans un profil d’élève classique, malgré les difficultés, ils arrivent à les surmonter. Ceux-là nous préoccupent logiquement moins longtemps.

 

Inclusion

Il existe beaucoup de structures en France, pour scolariser tous ces élèves aux profils compliqués : SEGPA, ITEP, IME, ULIS… Malheureusement, beaucoup de ces structures ferment, l’inclusion étant dans l’ère du temps. Et l’inclusion, pourquoi pas, l’idée est belle et l’idée est bonne certainement. Mais pas n’importe comment. En France, on semble croire qu’il suffit d’associer des AESH, souvent non formé(e)s, pour aider à inclure toutes sortes de cas. Très franchement, ce n’est pas une réussite, et même certain(e)s de ces AESH viennent compliquer notre travail, ne serait-ce que parce que nous n’avons pas de temps de coordination ou d’échange avec eux. Il est parfois difficile alors de travailler en harmonie alors que l’on ne fait que se croiser, hors des temps devant élèves. D’où le malheureusement employé pour les structures qui ferment.

En Belgique, en Italie aussi, apparemment, les élèves handicapés sont inclus en milieu ordinaire. Mais avec un véritable soutien : il y a un enseignant spécialisé à temps plein qui vient en plus de l’enseignant ordinaire de la classe, permettant ainsi la prise en charge des difficultés d’autres élèves et baissant considérablement l’échec scolaire. Je ne sais pas si c’est aussi miraculeux que le laissent entendre certains rapports (*), mais c’est en tout cas plutôt convainquant.

* Rapports consultés :

http://adfe.org/belgique/file/articles2012/scolarisationenfantssituationhandicap.pdf

https://cache.media.education.gouv.fr/file/2017/19/2/IGAENR-2017-118-Inclusion-eleves-situation-handicap-Italie_909192.pdf

 

Transmission

Retour à la littérature avec Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu.

Leurs enfants après eux par Mathieu

Avec Anthony vous vous embarquez dans une sorte de road trip qui fait du sur-place.

Anthony a des fourmis dans les jambes mais il ne fait rien d’autre que les piétiner, il a des étoiles dans les yeux qui ne servent qu’à l’aveugler, il a des rêves plein la tête qui l’empêchent juste de se réveiller.

Anthony, c’est tout un stéréotype : un looser de première, qui rate à l’école, qui a déjà pris de la drogue à quatorze ans, qui passe son temps d’abord à rouler des pétards à défaut de rouler des pelles, qui vomit le trop plein d’alcool dont il se perfusionne à longueur de temps et qui vomit sa rage à coups de poings à défaut de savoir pousser des coups de gueule !

Les dialogues sont bruts de décoffrage mais quel réalisme dans ces trivialités exprimées, les non-dits restant eux en l’état, peut-être même non-pensés, allez savoir…

Et puis comme on suit quelques personnages, on se dit que leurs points communs, c’est la baise et l’alcool, à croire que tous les jeunes ont que ça en tête – façon de parler, ça ne se situe pas exactement là… Bien sûr que non, mais il s’agit d’une rencontre entre le monde des miséreux auxquels appartient Anthony et le monde des privilégiés auxquels appartient Stéphanie. Alors des gosses de riches qui restent sérieux, ne se perdent pas dans l’alcool, se gardent d’histoires de cul excessives, il y en a. Mais ils ne sont pas dans le livre, parce que comment voudriez-vous qu’ils rencontrent Anthony dans ces conditions ? On se fréquente tout de même assez peu dans des milieux si différents, sauf s’il y a une raison. Nicolas Mathieu aurait pu choisir une autre raison, certes, mais ça n’aurait pas été le même livre. Il aurait même pu choisir un Anthony sobre et sérieux, même dans son monde de misère – si, si – mais là non plus, ce n’est pas ce qu’il a voulu écrire.

Immigration, économie parallèle, vieillissement, piston, alcoolisme, chômage, adolescence et jeunesse… beaucoup de sujets abordés, finalement peut-être trop ?

Mais tout est tellement nuancé dans l’évolution de l’alcoolisme du père avec ses différentes phases, le rapport au corps aussi, plusieurs fois évoqué, dans la découverte de la sexualité, dans le vieillissement, évoqué comme élément de maîtrise de soi, il y a aussi le rapport à l’autorité, paradoxal avec cette tentation de l’armée…

Alors c’est une chronique de vie très ancrée dans la réalité, dans une réalité en tout cas, si on en veut d’autres, on lit d’autres livres qui parlent d’autres gens, mais on ne nie pas que ceux-là existent.

Un prix Goncourt amplement mérité à mon sens, mais bien sûr, la notion de mérite, hein…

2 réflexions sur “Cabossés

  1. J’aime les billets d’humeur qui commence ces chroniques. Je pense sincèrement que à l’adolescence le sentiment d’échecs répétés de structures en structures et de toute puissance relative ressentie par le jeune, ne peut l’aider à accepter contraintes et frustrations ! Et celui décrit dans ce billet semble très jeune! Pour ce qui est de l’inclusion, c’est évidemment un objectif ! Seulement, si on veut bâtir une prise en charge sur mesure nécessaire à la prise en compte des besoins particuliers de chacun, forcément ce ne peut être une solution pour tous et pour toujours ! C’est en terme de parcours qu’il faut réfléchir : à un moment l’inclusion est à construire. Peut être à un autre la structure spécialisée sera plus a même d’ allier soin et enseignement, etc… Seulement, on ne peut passer sous silence ce que sous entend, cette politique d’inclusion, des réductions budgétaires, un redéploiement des enseignants spécialisés au sein des structures d’enseignement dite classique…Alors que le  » cousu mains » demande du temps, des rencontres, des réflexions communes, des engagements forts de toutes les parties, de l’aide des services spécialisés , donc de l’argent, des moyens, etc …Vaste question !Je m’arrête ! Bon courage !

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    • Merci tout d’abord d’apprécier mes « billets d’humeur ».
      Si l’on voulait « bâtir une prise en charge sur mesure… », on n’aurait pas des décisions politiques. Par exemple, notre enseignante spécialisée qui s’occupe des élèves du dispositif ULIS nous expliquait que dans notre département, les « décideurs » n’étaient pas pour les passages de l’ULIS vers les SEGPA. Mais il y a peut-être des cas où ce serait utile. Tant pis.
      Bref, tout cela est décourageant.
      Du coup l’encouragement est bon à prendre, merci.

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