D’une pierre deux coups – Quand les élèves flamboient – Chapitre 15

Mattéo, Dylan, Tony, Peter et Bertrand discutaient de tout et de rien en marchant. Ils allaient chez Camille qui habitait dans un lieu-dit à deux kilomètres de la Ferrinière. Il fallait marcher sur une petite route peu fréquentée, surtout en journée. Ils se firent surprendre par une averse torrentielle mais sans orage, de celles qui sont faites pour durer. Mattéo emmena les quatre autres au bord d’un chemin entre deux champs, bordé d’une haie. Et juste après un tournant, ils tombèrent sur une vieille caravane.

– Et le plus beau, dit Mattéo, c’est qu’elle est ouverte. Venez.

Il avait déjà ouvert la porte quand Bertrand protesta :

– Mais à qui elle est cette caravane ? On peut pas entrer dedans comme ça.

– Ça fait des mois qu’elle est là. Ils entrèrent tous les cinq mais Bertrand insista :

– On peut pas rester là. Ça me plaît pas. Je le sens pas.

– Eh mais détends-toi. Je te dis que ça craint rien. Et puis je suis déjà venu ici avec Camille alors tu vois.

– Ici avec Camille ? s’étonna Dylan. Et vous avez…

– On a quoi ?

– Ben…

– C’est pas tes oignons ! éluda Mattéo qui voulait frimer un peu devant Tony.

– Sérieux ? Vous l’avez fait ici avec Camille ? questionna Peter qui ne réfléchissait pas plus loin que le bout de son nez. Il s’assit par terre parce qu’il n’y avait qu’une petite banquette de deux places, et les autres l’imitèrent. Peter avait un air tellement sincère et sérieux que Mattéo ne voulut pas le mener en bateau. Ni lui ni les autres.

– Non, non, marmonna-t-il. C’était juste pour être tranquille tous les deux un jour où il pleuvait aussi. Mais rien de plus. Ils parlèrent de tout et de rien, de filles surtout.

– Vous avez pas entendu un bruit ? demanda soudain Dylan.

– Un bruit ? Putain on s’entend à peine sans gueuler avec les trombes d’eau qui résonnent sur la tôle et toi tu demandes si on a entendu un bruit. Il faudrait être sourd pour ne pas entendre de bruit, ironisa Peter.

Tous s’étaient tu. L’un d’eux poussa un cri bref quand la caravane se mit à avancer. Bertrand se leva mais resta sans bouger. Peter se précipita sur la porte mais elle ne s’ouvrait pas. Après quelques secondes chaotiques, le mouvement parut plus régulier. Personne n’avait osé le formuler mais ils avaient compris que la caravane était en train de rouler. Au premier tournant, tous se cassèrent la figure, même ceux restés assis et ils se tinrent comme ils pouvaient après cela. Quand la caravane s’arrêta la première fois, Mattéo essaya encore d’ouvrir la porte et donna de grands coups dedans mais elle ne céda pas. Ils essayèrent aussi de hurler le plus fort possible en donnant des coups à l’avant mais cela n’eut aucun effet et Dylan dit que de toutes façons il n’y avait aucune chance que le conducteur de la voiture les entende. C’est alors que Bertrand s’inquiéta de savoir qui était ce conducteur.

– Et si c’était un gitan ? lança-t-il l’air inquiet.

– Pourquoi tu veux qu’un gitan ait laissé sa caravane ici pendant des mois ? rétorqua Mattéo. C’est plutôt un voleur, si tu veux mon avis.

– Ouais, bah c’est c’que j’voulais dire. Alors que la caravane était repartie à rouler, ils continuèrent à se prendre le bec tous les deux.

– Pourquoi ce serait forcément un gitan si c’est un voleur ? questionna Mattéo.

– Parce qu’ils vivent dans des caravanes ces gens-là, répondit Bertrand.

– Pourquoi ce serait pas un mec qui aurait volé la caravane pour partir en vacances avec ?

– Parce que les gens sur les routes, ils sont contrôlés. Qui prendrait le risque d’aller en prison pour partir en vacances avec une caravane comme celle-là ?

– Ben un gitan non plus il a pas envie de se retrouver en taule pour une vieille caravane toute pourrie.

– Ouais mais les gitans ils sont jamais contrôlés, les flics ils osent pas aller dans leurs camps.

– Bon, on s’en fout, s’impatienta Dylan. Quand on va s’arrêter dans un village, il faut qu’on fasse un barouf d’enfer en criant « au secours » pour que des gens nous entendent.

– Non déconnez pas, intervint Bertrand. Faut se la jouer discret au contraire. Ça se trouve on va s’arrêter directement dans leur camp. S’ils nous trouvent ils vont nous démolir.

– Si c’est pas des gitans… risqua Mattéo.

– Si c’en est… répondit Bertrand.

Tony se mêla alors de la discussion :

– Ouais, mais si on dit rien quand on s’arrête et que le gars dépose juste sa caravane dans un trou paumé avant de se barrer, on va rester là longtemps. Et si c’est des gitans et qu’on est dans leur camp, on leur expliquera comment on s’est fait enfermer et qu’on veut rentrer chez nous. Et personne va nous démolir même si c’est d’affreux voleurs. D’autant plus si ils en ont rien à foutre des flics alors ils en auront rien à foutre de nous. Qu’est-ce qu’ils risquent ?

Silence. Regards en coin vers Bertrand.

– A moins que vous pensiez que c’est des voleurs d’enfants ? ajouta Tony. Il laissa passer un peu de temps avant d’ajouter :

– Parce qu’à mon avis, ils les volent plus petits, pour qu’ils rentrent dans la marmite.

Un peu honteux de l’allusion de Tony, les quatre autres baissèrent les yeux. Il y eut encore un long silence avant que Mattéo ne dise :

– J’suis désolé les mecs, c’est de ma faute tout ça. D’ailleurs Camille va s’inquiéter de ne pas nous voir arriver. Je vais l’appeler.

Mattéo expliqua à Camille leur mésaventure. Ensuite, ils parlèrent tous les cinq du collège, de leurs camarades de classe. Comme Tony était là, ils lui racontèrent plein d’anecdotes des années précédentes les concernant, eux et les autres de la classe, du collège, ceux avec qui ils étaient souvent, et qui expliquaient bon nombre d’allusions, de sous-entendus que Tony ne comprenait pas d’habitude. Deux heures. Et sans un seul véritable arrêt. Camille rappela sur le téléphone de Mattéo, s’étonnant qu’il ne l’ait pas tenue au courant. Mais il lui expliqua qu’il n’y avait rien de nouveau, qu’ils roulaient encore.

– Tu devrais appeler tes parents, ajouta-t-elle.

– Ça va pas ! Pour leur dire quoi ?

– Leur expliquer. De toutes façons si vous roulez depuis tout à l’heure, vous serez pas rentrés avant ce soir, à pieds ! Ils vont s’inquiéter.

– Mais si je les appelle pour leur dire qu’on ne sait pas où on est, enfermés dans une caravane en train de rouler, et emmenés on ne sait pas par qui, ils vont paniquer aussi. Je vais attendre. On va bien finir par s’arrêter.

Après cet appel, ils reprirent leur attente de façon silencieuse. L’évocation des parents leur avait mis un coup au moral, avec la perspective d’une engueulade. A peine dix minutes plus tard, la caravane s’immobilisa enfin complètement et le lointain bruit de moteur disparut aussi. Ils se levèrent tous les cinq et s’approchèrent de la porte. Ils s’étaient mis d’accord pour faire un maximum de bruit mais seul Tony cogna contre la porte en criant :

– Monsieur. On est enfermé. Monsieur, on est enfermé…

Ils entendirent un bruit métallique contre la porte et Tony se tut, tandis que Dylan et Bertrand reculèrent d’un pas, inquiets. Et la porte s’ouvrit sur une vieille petite dame.

– Ben qu’est-ce que vous faites là-dedans ? s’étonna-t-elle.

– Vous nous avez enfermés. On s’était mis là à cause de la pluie et on a rien entendu avant que la caravane démarre, répondit Mattéo.

– Mes pauvres garçons. C’est vraiment pas de chance. Venez. Vous allez manger quelque chose et je vais appeler vos parents. Ils suivirent la dame dans une autre caravane, très grande, qui trônait au milieu d’un grand jardin, entourée de plein d’autres caravanes et roulottes.

– C’est ma passion. Je les retape et j’en revends.

– Mais vous les achetez ? demanda Peter.

– Évidemment. Je ne les vole pas. Celle que je viens de ramener, je ne l’ai pas achetée, on me l’a donnée. Elle était restée à l’endroit où elle avait crevé un pneu. Le propriétaire ne voulait pas payer un pneu neuf alors qu’il l’emmenait à la casse, et encore moins payer son enlèvement. Il l’avait mis dans le chemin avec l’accord des agriculteurs en attendant. Il m’a juste aidée pour changer le pneu et je l’ai raccompagné chez lui. Ça m’a pris un quart d’heure au plus. Vous êtes montés dedans pendant ce moment. C’est vraiment pas de chance.

Elle leur servit des verres de lait, sans leur demander leur avis, et des biscuits faits maison. Elle était énergique et si elle avait l’allure des mamies d’autrefois, de celles qui sont assises dans un rocking-chair, à tricoter avec un chat endormi sur leurs genoux, elle avait une attitude à la Tina Turner, mue d’une énergie folle, toujours en mouvement, toujours en alerte.

– C’est pas la peine d’appeler nos parents, m’dame, dit Peter. On a nos portables.

– Moi aussi j’ai un portable. Mais je comptais bien utiliser les vôtres. Ce sera peut-être plus facile si c’est moi qui appelle, non ?

– Moi, je veux bien, madame, dit Bertrand avec empressement.

La vielle dame appela tour à tour les parents de Bertrand, de Dylan, de Mattéo et de Peter, répétant à chaque fois patiemment les mêmes explications. Tony appela lui-même son père.

C’est le père de Bertrand qui arriva en premier. Il fut très aimable avec la vieille dame mais très froid avec son fils. Il n’échangea pas une parole avec lui et pas un regard avec les autres. Le père de Peter arriva ensuite. Il s’était mis d’accord avec les autres parents et ramena tout le monde dans la bonne humeur. Il s’entendait bien avec les jeunes. Certains lui trouvaient un caractère d’ado attardé. En réalité, il avait bien quelques principes, mais lui-même ne s’y tenait pas vraiment. Ce qui passait pour de la faiblesse de caractère, qui était en fait un manque de confiance en lui, ne lui permettait pas d’être intransigeant avec ses enfants. Il cédait bien trop vite et bien trop souvent, par peur et non par facilité. Mattéo précisa que c’était sa faute s’ils étaient montés dans la caravane. Mais le père de Peter dit qu’il n’y avait pas grand mal à cela du moment qu’ils n’avaient pas forcé la porte.

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